L’insecte pollinisateur, urbain sous conditions
Si, a priori, les villes concentrent des conditions favorables à l’épanouissement de l’entomofaune, les choix de gestion peuvent encourager ou au contraire endiguer sa présence. Des études tentent de déterminer les conditions idéales à appliquer.
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Une réduction de l’utilisation de produits phytosanitaires (une large gamme de produits sont interdits dans les espaces verts en ville à la suite de la loi Labbé, qui concerne toujours plus de lieux), des fleurs disponibles toute l’année grâce aux plantes horticoles qui prennent le relais des fleurs sauvages hors saison et enfin des îlots de chaleur : le milieu urbain semble favorable aux insectes pollinisateurs.
Ainsi, dans le cas des abeilles domestiques, par exemple, les îlots de chaleur urbains – qui préfigurent les changements climatiques à venir – permettent une activité des reines et ouvrières toute l’année. Mais la situation n’est pas si simple. En effet, l’entomofaune en ville ne reflète pas toute la diversité que l’on retrouve en milieu naturel.
« Tous ne peuvent pas survivre : ce n’est pas le même climat, la même densité des sites de nidification, la même flore... Spipoll, suivi photographique des insectes pollinisateurs mis en place par le Museum national d’Histoire naturelle, à Paris, a montré que la richesse spécifique diminue en ville par rapport aux milieux naturels ou semi-naturels », explique Isabelle Dajoz, entomologiste et professeure à l’université Paris-Diderot (1).
Les villes constituent également des « pas japonais » qui favorisent l’introduction d’espèces invasives. Une autre menace plane pour les pollinisateurs : les ruches d’abeilles domestiques qui ont un impact négatif sur l’activité des espèces sauvages. Enfin, certaines plantes ornementales ne présentent aucun intérêt pour les pollinisateurs.
Un « pollinomètre » pour évaluer la situation en ville
Mickaël Henry, doctorant à l’Inrae, teste l’hypothèse que les pollinisateurs sont capables d’assurer leur mission tout au long de l’année au moyen de la brassicacée Sinapis arvensis,utilisée comme plante « pollinomètre ». Auto-incompatible, sa fructification dépend de la visite de nombreux taxons de pollinisateurs (abeilles sauvages, diptères, coléoptères, lépidoptères) et sa culture est bien connue.
« L’objectif premier du pollinomètre est d’évaluer la capacité des milieux urbains à assurer le service de pollinisation, explique Mickaël Henry. Le second objectif est d’identifier les liens entre la pollinisation et la gestion du milieu urbain, qui, on suppose, a un rôle majeur dans l’intensité et l’efficacité de la pollinisation à travers plusieurs caractéristiques. C’est-à-dire leur disponibilité en espaces verts, en ressources florales, de même que l’intensité des îlots de chaleur urbains. »
Le protocole du « pollinomètre » a été présenté lors d’une journée technique d’échanges sur les pollinisateurs en milieux urbanisés fin 2020.
Pendant deux années consécutives et tous les deux mois, entre les mois de mars et novembre, des réplicats d’un ensemble de six plantes seront présentés à la faune pollinisatrice de six villes (Besançon, Lille, Lyon, Marseille, Nancy, Paris). Les graines des brassicacées seront fournies, ainsi que les instructions pour mener à bien l’expérimentation. Il faudra disposer d’un espace de serre afin de cultiver les plantes jusqu’à floraison (environ cinq semaines). Ensuite, celles-ci seront disposées sur le terrain (espaces verts), afin de quantifier les visites des insectes et la production de graines qui en découle. Le succès de ces « pollinomètres » sera comparé entre les six villes, en relation avec les pratiques de gestion, le climat et la diversité spécifique et fonctionnelle de leurs assemblages de pollinisateurs.
L’objectif visé est de dresser un « portrait-robot » d’une ville idéale pour y préserver la fonction de pollinisation, afin de proposer des actions concrètes et de nouvelles conduites dans le but de conserver, voire de rétablir, la capacité de ces milieux urbains à remplir cette fonction.
Fournir alimentation et sites de nidification
Si les grandes lignes des actions visant à stimuler la présence de pollinisateurs sont déjà connues, cette étude permettra de les rendre plus précises et spécifiques. Les résultats ne seront pas disponibles avant les deux prochaines années, mais, en attendant, il est possible de favoriser ces différentes espèces en ville par la gestion des ressources florales et des sites de nidification.
« Il faut récréer une mosaïque d’habitats dans le but de fournir le gîte et le couvert », résume Hugues Mouret, directeur scientifique d’Arthropologia (2). Il conseille de laisser les boisements (haies et forêts) se reconstituer, de planter des graines, des arbres et des arbustes indigènes et locaux, de diversifier les plantations et les strates, de laisser des zones en libre évolution et enfin de différencier les gestions (dans le temps et l’espace) pour qu’il y ait toujours des ressources.
En matière de fleurissement, l’écologue recommande de laisser s’exprimer la banque de graines (flore spontanée) et, si besoin, de semer des espèces locales, de faucher tardivement en décalé, avec exportation ou pâturage, d’éviter d’ apporter un amendement dans les prairies, d’installer des haies, des bosquets, des points d’eau... Et de ne pas oublier qu’il n’y a pas que les fleurs qui sont importantes pour les insectes, mais aussi les feuilles, le bois, etc. pour alimenter les larves.
Léna Hespel(1) Dissoute en décembre 2019, elle est intégrée depuis dans l’université de Paris.
(2) Arthropologia est une association naturaliste agissant pour la défense des insectes et de la flore qui leur est liée.
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